Corto Maltese Océan Noir – BD – Avis Critique Vidéo

Aïe, sujet sensible, cette BD a été vouée aux gémonies par certains quand elle a été mise sur un autel de Pratt par d’autres ! Comme souvent, la vérité se situe (bien heureusement) entre ses 2 extrêmes. Ceci écrit, il faut dire que cette bande dessinée était dès le début prédestinée à susciter des réactions enflammées puisqu’il s’agit de redonner vie au personnage emblématique de Hugo Pratt, Corto Maltese !

La continuation des aventures de Corto Maltese

Ouvrons ici une parenthèse éditoriale. Qui suis-je pour donner mon avis sur cette BD Océan Noir qui continue les aventures de Corto Maltese ? Eh bien, cela va sans doute trahir mon bel âge mais j’ai découvert les aventures de Corto Maltese dans… Pif Gadget ! Depuis cette douce époque de l’insouciance, j’ai suivi durant des dizaines d’années Corto Maltese au gré de ses péripéties ainsi que, bien sûr, l’œuvre d’Hugo Pratt. Ok, donc, ce point est éclairci, je connais vraiment bien Corto Maltese. Refermons cette parenthèse informative.

Une bonne BD qui se laisse lire avec plaisir

Et ouvrons Océan Noir ! Ne vous inquiétez pas, je ne vais rien spoiler afin que votre plaisir de lecture reste intact après avoir consulté (sinon survolé) ma critique. Vous êtes prêt ? C’est parti ! Océan Noir est une bonne bande dessinée qui se laisse lire avec plaisir (ça, je l’ai déjà écrit plus haut) et où le lecteur retrouve avec plaisir (oui, le mot est toujours aussi juste) la personnalité de Corto Maltese : sur ce point, c’est une totale réussite car les traits de caractère de Corto Maltese sont vraiment préservés, félicitations aux auteurs !

Corto Maltese est désormais un de nos contemporains

À ce stade, une précision s’impose, Corto Maltese est désormais un de nos contemporains dont les aventures se déroulent donc en 2021. Concrètement le seul signe vraiment apparent de cette modernité est l’apparition (très modérée) d’un téléphone portable ainsi que de quelques rares intervenants contemporains : la mise à jour contemporaine de Corto Maltese passe donc très bien car elle n’est pas envahissante. Ce qui ne passe pas du tout par contre, c’est la casquette de zadiste de Corto Maltese qui remplace sa casquette de capitaine. Je suis désolé mais Corto Maltese a de la classe et de l’élégance avec sa casquette de capitaine alors pourquoi les auteurs sont-ils donc aller lui mettre une casquette de zadiste qui diminue la singularité et la beauté de Corto Maltese ? C’est un terrible faux pas ! Cette casquette est bien trop commune pour un personnage qui est unique !

Certaines scènes splendides

Et l’histoire, est-ce qu’elle est bien ? Oui, c’est une bonne histoire avec un bon scénario qui s’inscrit dans la lignée des aventures de Corto Maltese. On peut même écrire que le scénario s’inscrit un peu trop dans cette lignée car les auteurs ont dû se sentir obligé de faire voyager leur Corto Maltese dans plusieurs endroits exotiques improbables pour bien montrer sa filiation avec le Corto Maltese original. Du coup, à force de faire tout le temps bouger Corto Maltese, on ne laisse parfois pas assez de temps à Corto Maltese pour s’installer dans son décor. Pour donner une image cinématographique avec des films italiens (Hugo Pratt était italien), imaginez des remakes de Mort à Venise ou de L’incompris avec des scènes raccourcies et d’autres scènes ajoutées : on perdrait l’âme existentielle de ces films. Ceci écrit, certains passages de Océan Noir retrouvent parfaitement la temporalité de Corto Maltese, la déambulation de Corto Maltese dans les rue de Tokyo ou la scène érotique sur le voilier sont splendides (je reviendrai sur ce moment plus tard).

Les dessins sont bien et très agréables à regarder

Et les dessins, ils sont bien ? Oui, les dessins sont bien et très agréables à regarder mais je dois affiner mon propos. La grande intelligence des auteurs consiste à ne pas avoir voulu imiter le style des dessins de Hugo Pratt mais à proposer leur propre style graphique avec des belles tonalités de gris et ça fonctionne ; on entre facilement dans cette nouvelle vision de l’univers de Corto Maltese ! Mais il y a quand même un problème, la mise en page de la bande dessinée est parfois trop calquée sur les mises en page des bandes dessinées originales ce qui a parfois pour horrible effet de donner une impression de copie. En fait, les auteurs ne sont jamais aussi bon que lorsqu’ils réussissent à s’affranchir de la tutelle de Hugo Pratt ! Revenons à la scène érotique sur le voilier, elle ne ressemble pas à ce qu’aurait fait Hugo Pratt ni dans ses dessins (qui ont une charge érotique beaucoup plus puissante) ni dans sa mise en page mais qu’importe car cette scène sur le voilier fonctionne parfaitement tout en préservant le caractère de Corto Maltese et sa temporalité : là, c’est du bon, on découvre autre chose mais cet autre chose s’inscrit dans l’esprit original de Corto Maltese sans être une copie.

Des auteurs pas assez affranchis de l’œuvre originale

En fait, pour moi, les auteurs ne se sont pas assez affranchis de l’œuvre originale pour donner vie à leur propre œuvre : il faut que leur Corto Maltese s’émancipe et là, oui là, les futures BD pourront d’avantage se libérer dans leur scénario et dans leur graphisme. En effet, par exemple, l’apparition d’un personnage récurrent de la saga Corto Maltese (je ne spoile pas) dans Océan Noir est un peu comme un cheveu sur la soupe et ça c’est vraiment dommage car il aurait sans été plus opportun de créer un nouveau personnage aux fonctions certes identiques.

On perd la dimension mystique

Au fond, quelles sont les grandes différences entre Océan Noir et une BD d’Hugo Pratt ? La plus grande différence est patente car, même si les auteurs ont essayé de la retrouver, on perd la dimension mystique (et parfois onirique) des aventures de Corto Maltese. Les bons dessins de Océan Noir n’ont évidemment pas la magnificence des dessins de Hugo Pratt où certaines cases étaient à elles seules des œuvres d’art. Et, je l’ai écrit plus haut, la temporalité a un rythme plus accéléré que dans une BD de Hugo Pratt.

Une bonne bande dessinée

Ne rêvez pas, vous ne pensiez tout de même pas que vous alliez retrouver le génie artistique de Hugo Pratt dans Océan Noir : Hugo Pratt était unique comme son personnage Corto Maltese ! Par contre, il faut l’écrire, Océan Noir est une bonne bande dessinée qui respecte l’œuvre originale de Hugo Pratt et qui prolonge agréablement les aventures de Corto Maltese sur les mers salées. J’achèterai certainement le prochain album de ce nouveau Corto Maltese car les auteurs ont un grand potentiel pour donner une belle vie à ses nouvelles aventures en prenant peut-être plus de libertés avec les œuvres originales.